Venus
Des étudiants jouaient à la balle devant une église. L'un d'entre eux, avait au doigt une bague, qu’une jeune fille lui avait donnée en témoignage de l'ardent amour qu'elle lui portait ; craignant que cette bague ne se brise sous les chocs répétés de la balle, il entra dans l'église à la recherche d'un endroit où la poser et la retrouver à la fin de la partie.
Entré dans l'église, il trouva devant lui une statue de la Vierge Marie; au premier regard, et saisi d'admiration devant sa beauté, il s’agenouilla et salua la Vierge avec dévotion, en disant : « Il est bien vrai que tu es la plus belle de toutes les femmes, plus belle même que celle qui m'a donné cette bague en gage de son amour. Ainsi je renonce à elle, et je décide de t’aimer et de te servir tellement que, à ton tour, tu me trouveras digne de ton amour... » Après ce serment, le garçon passa l'anneau au doigt de la statue, doigt qu’elle tenait dressé. L'anneau passé, comme si elle acceptait cet engagement et y ajoutait foi - miracle ! - la statue replia le doigt. A cette vue, le garçon, frappé de stupeur, appelle ceux qui se trouvent là et leur raconte les faits qui ont suivi sa salutation et les termes de son vœu : ils s’étonnent de cette aventure inattendue. Au récit de miracle, ils le poussaient à renoncer au monde et à accomplir si bien son vœu qu'il soit, comme il l’avait dit, le serviteur et l’amoureux de la mère de Dieu. Mais, piqué par l'aiguillon des richesses de ce monde, il écoutait de fort mauvais cœur leurs avis ; il se comporta en ingrat - peu de temps après, manquant à sa promesse, il ne craignit pas de se marier.
Mais la nuit de ses noces, la Bienheureuse Vierge Marie lui apparut, comme si elle était couchée au milieu, entre lui et sa femme ; elle lui montrait son doigt orné de la bague et lui reprochait son infidélité. Brusquement réveillé, il cherchait à tâtons la statue autour de lui, et, ne la trouvant pas, il crut que c'était un rêve. A nouveau plongé dans le sommeil, il la vit se tenant près de lui: elle s'adressait à lui, pas avec douceur comme la première fois, mais en détournant le visage d’indignation et en le menaçant de punitions très dures pour son parjure, pleine de mépris à son égard. Réveillé, et terrifié par ces avertissements répétés, il abandonna tout ce qui faisait sa vie ; la nuit même, en secret, il partit dans le désert : là, il prit l’habit et vécut en moine ; tous les jours de sa vie, il servit, l'âme dévote, sa maîtresse et son amie.
Vincent de Beauvais.
Speculum Historiae. VII, 87 (Liber marialis).